Ses relations avec Joseph Kabila, le cas Vital Kamerhe, l’avenir de l’Union sacrée, la présidentielle de 2023… Désormais débarrassé de son partenaire de coalition, le chef de l’État congolais se retrouve en première ligne. En visite à Goma, dans l’Est, il a répondu aux questions de JA. En exclusivité.
Félix Tshisekedi est désormais un homme pressé. Six mois après l’annonce formelle de sa rupture avec Joseph Kabila, le chef de l’État a maintenant les mains libres, avec un gouvernement de 57 membres investi au Parlement à une écrasante majorité (410 députés sur les 412 présents) ainsi que le contrôle de l’Assemblée et du Sénat.
En lieu et place de l’intenable attelage que formaient Cap pour le changement (Cach) et le Front commun pour le Congo (FCC), une méga-coalition à la dénomination lyrique, l’Union sacrée, improbable cocktail composé de son propre parti, l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), d’alliés de la première heure comme l’Union pour la nation congolaise (UNC) de Vital Kamerhe, de transfuges du FCC, mais aussi des formations de deux poids lourds de l’opposition, Ensemble pour la République de Moïse Katumbi et le Mouvement de libération du Congo (MLC) de Jean-Pierre Bemba.
Attentes immenses
Un retournement de situation inimaginable il y a seulement quelques mois, à une époque où la plupart des observateurs expliquaient que Félix Tshisekedi pouvait déjà s’estimer heureux d’avoir été élu et qu’il était condamné à se contenter d’un rôle honorifique de chef d’État aux allures de reine d’Angleterre ou de marionnette de Joseph Kabila. Patiemment, discrètement, « Fatshi », comme l’appellent ses partisans, a tissé sa toile, placé ses hommes, notamment au sein de l’armée et des services de renseignements, prenant soin de ne jamais heurter de front son partenaire et laissant volontiers ses adversaires le sous-estimer. Il faut toujours se méfier de l’eau qui dort…
Revers de la médaille, le chef de l’État est désormais en première ligne et, à deux ans et demi de la fin de son mandat, il doit assumer seul la responsabilité de ses succès comme de ses échecs. Outre la gageure que représente la maîtrise d’une majorité aussi hétéroclite et volatile, nombreux sont les écueils qu’il aura à surmonter. À commencer par le financement de l’ambitieux programme présenté aux députés par son Premier ministre, Sama Lukonde Kyenge, lors de son discours de politique générale, dont le coût est estimé à 12 milliards de dollars par an (9,9 milliards d’euros), soit 36 milliards à mobiliser d’ici à 2023. Ou la situation sécuritaire, en particulier dans l’est du Congo, qu’il s’est engagé à régler lors de la tournée effectuée dans le Nord-Kivu et en Ituri, deux provinces où l’état de siège a été décrété début mai. Sans parler des attentes immenses formulées par 80 millions de Congolais, lassés des promesses sans lendemain.
Félix Tshisekedi, qui vient de fêter ses 58 ans, nous a reçus le 20 juin, en milieu de matinée, dans sa résidence de Goma, sur les bords du lac Kivu. Un entretien d’un peu plus d’une heure au cours duquel il n’a éludé aucun sujet, a officialisé sa candidature à la présidentielle de 2023 et a tenu à remettre de nombreuses pendules à l’heure, notamment à propos de Vital Kamerhe ou de Joseph Kabila. Il fallait s’y attendre, « Fatshi » n’a plus une minute à perdre.
Jeune Afrique : Le 6 décembre, à l’issue des consultations politiques que vous aviez lancées, vous avez annoncé la fin de la coalition FCC-Cach [Front commun pour le Congo-Cap pour le changement], qui liait la plateforme de votre prédécesseur, Joseph Kabila, à la vôtre. Quelles sont les vraies raisons de cette rupture ?
Félix Tshisekedi : Il y avait entre nous une trop grande divergence de vues, tout simplement. Nous n’étions pas d’accord sur plusieurs sujets que j’estime fondamentaux, tels que l’indépendance de la justice ou la transparence – indispensable selon moi – dans la gestion des affaires de l’État. Nous nous sommes battus dans le passé pour ces idéaux et il était inconcevable que nous y renoncions.
Joseph Kabila n’est pas mon ennemi
Lorsque j’ai constaté que les actes que je posais pour réformer la magistrature, l’un des piliers de l’état de droit, faisaient l’objet de toutes les manœuvres possibles et que certains cherchaient à ruiner nos efforts, j’ai compris que nous n’avions rien en commun. Tout ce que nous nous étions dit au départ, pour défendre un même programme et une même vision, n’était finalement que de la poudre aux yeux.
Avez-vous conservé des relations avec Joseph Kabila ?
Bien sûr. Nous nous sommes même récemment appelés pour nos anniversaires respectifs : nous sommes tous les deux nés en juin, lui le 4 et moi le 13. Joseph Kabila n’est pas mon ennemi. Mais, comme dans un couple, lorsque l’on n’est plus en accord sur les principes qui ont fondé une union, il faut se séparer, voilà tout.
Vous êtes désormais à la tête d’une autre coalition, l’Union sacrée. Quelle est la stratégie de cette vaste majorité, qui ressemble à un attelage pour le moins hétéroclite ?
L’Union sacrée n’est pas une nouvelle formation politique ni une nouvelle plateforme. C’est une union de bonnes intentions, ce qui peut expliquer l’hétérogénéité de ses composantes. J’ai invité la classe politique à me rejoindre dans cette union-là sur la base des principes que je défends : la sécurité des populations, surtout dans l’Est ; l’amélioration du quotidien des Congolais ; la lutte contre la corruption, etc. L’Union sacrée a été créée pour nous permettre de mener les réformes attendues jusqu’à la fin de mon mandat. Pour le reste, nous aviserons au moment des élections [prévues en 2023]. Ce n’est qu’à ce moment-là que nous évoquerons d’éventuelles coalitions, ainsi que les programmes et les ambitions des uns ou des autres. Aujourd’hui, c’est le temps de l’action, pas celui des calculs politiques.