Des marches sont organisées à travers le pays pour dénoncer « l’inaction » des autorités après le massacre de Solhan, début juin, qui a fait entre 130 et 160 morts.
Solhan. Au Burkina Faso, le nom de ce village minier dans le nord-est du pays risque de rester longtemps associé aux images macabres d’hommes, de femmes et d’enfants gisant au sol, de fosses communes remplies de dizaines de corps enveloppés à la va-vite dans des nattes. Dans la nuit du 4 au 5 juin, des hommes armés ont attaqué cette localité, tuant 160 personnes selon des sources locales, 132 selon les autorités. Jamais un massacre d’une telle violence n’avait été perpétré dans le pays. Une « boucherie », un « carnage », « l’horreur ». Sur les réseaux sociaux, les mots des Burkinabés, d’habitude si pudiques lorsqu’il s’agit d’exprimer leur peine et leur souffrance, sont empreints d’une profonde amertume.
Trois semaines après le drame de Solhan et un deuil national de soixante-douze heures, l’onde de choc reste intacte. Face à la multiplication des attaques terroristes, chaque fois plus meurtrières, la colère gronde. Le 12 juin, plusieurs milliers de personnes ont marché à Dori, le chef-lieu de la région du Sahel, pour dénoncer « l’inaction » du gouvernement.
Samedi 26 juin, après de nouvelles attaques au Burkina Faso, d’autres manifestations, rassemblant plusieurs milliers de participants, ont eu lieu cette fois à Kaya (centre-nord) et à Titao (nord), où les locaux du haut-commissariat de la province ont été saccagés. L’opposition burkinabée a également annoncé une série de marches les 3 et 4 juillet sur l’ensemble du territoire, pour « protester contre la dégradation de la situation sécuritaire et exiger des mesures fortes ».
Dimanche au soir, dans un message à la nation, le président burkinabé, Roch Marc Christian Kaboré, a lancé un appel à la « retenue » et demandé aux partis politiques et aux organisations de la société civile de « surseoir » à ces manifestations « afin de ne pas faire le lit de notre désunion, face à l’ennemi commun ». Mais de plus en plus de Burkinabés s’interrogent sur la capacité des autorités à faire face à la crise sécuritaire qui, en six ans, a déjà fait plusieurs milliers de morts et forcé plus d’un million de déplacés à fuir leurs foyers.
« Silence » des autorités
Ce matin du 5 juin, quand Yahiya Hama Dicko, un étudiant de 26 ans de Dori, a appris la tuerie à Solhan, alerté par un ami, il s’est effondré en larmes en pleine classe. De chagrin, mais aussi d’incompréhension et de colère. « Comment a-t-on pu massacrer ces gens pendant plus de cinq heures sans que personne ne réagisse ? », s’interroge le jeune homme, dont un oncle, résidant à Solhan, a survécu à la tuerie. Pour lui, c’est « l’attaque de trop ». L’intervention tardive de l’armée, le « silence » des autorités, la vie sous couvre-feu. « Ça ne passe plus, on est fatigués de cette situation et on se sent délaissés », regrette Yahiya Hama Dicko, qui a décidé de lancer, avec plusieurs habitants, la marche de Dori, le 12 juin, pour « interpeller le gouvernement ».
Depuis le début de l’insurrection djihadiste, en 2015, au Burkina Faso, la région du Sahel est la plus durement touchée par les violences. Plus de 400 000 déplacés ont fui leurs foyers, près de 400 écoles ont fermé, l’administration a déserté de nombreuses communes et l’économie tourne au ralenti. « La population vit asphyxiée, on est pris en étau entre les groupes armés, les milices d’autodéfense et les forces de sécurité. Beaucoup de villages ont été complètement vidés de leurs habitants et n’existent plus », rapporte Yahiya Hama Dicko.
Des pans entiers du territoire échappent désormais au contrôle de l’Etat. Dans le nord et l’est du pays, certains villages sont passés sous l’emprise des groupes djihadistes, qui y ont imposé la charia. Le sentiment d’abandon ne cesse de s’aggraver dans les zones touchées qui souffrent aussi du manque d’infrastructures, de services sociaux, d’emplois et d’investissements économiques. « On a l’impression de ne pas être aussi burkinabé que les autres, on se sent comme des citoyens de seconde zone », s’attriste cet étudiant.
« Nous sommes dans la souffrance »
A Titao aussi, dans le nord, l’exaspération grandit. « Des morts et des morts, on n’en veut plus », « non au délaissement de notre province », « on veut cultiver nos champs », pouvait-on lire sur les pancartes des manifestants samedi. Les organisateurs exigent notamment le déploiement d’un détachement militaire dans la ville et l’équipement des « volontaires pour la défense de la patrie » (VDP), les supplétifs civils recrutés par l’armée. Dans la région, de nombreux habitants ont décidé de prendre les armes pour défendre eux-mêmes leurs villages. « Beaucoup ont été tués, ils sont mal équipés et n’ont pas tous été formés. On alerte les forces de sécurité mais elles ne viennent pas », dénonce un porte-parole de la marche.
Dans une vidéo devenue virale, diffusée le 21 juin, un groupe de VDP de la province a même lancé un appel à l’aide aux autorités. « Nous sommes dans la souffrance, l’ennemi est plus fort que nous. (…) S’ils ont vendu notre patrie, ils n’ont qu’à le dire et nous allons nous retirer », menace leur chef, en langue moré, indiquant ne pas avoir reçu l’indemnité prévue par l’Etat en échange de leur engagement.
Du côté des forces de sécurité aussi, la grogne monte. Le 21 juin, onze policiers ont été tués dans une embuscade, alors qu’ils effectuaient une mission de relève dans le centre-nord du Burkina Faso. « Les hommes n’ont pas l’équipement adéquat, ils manquent d’armes, de munitions et de blindés, ils doivent prendre de gros risques quand ils se déplacent depuis la capitale, par la route », dénonce Siyalé Moussa Palm, le secrétaire général de l’Unapol, le syndicat de la police. De quoi affecter le moral des unités. Selon nos informations, lors des funérailles des policiers à Kaya, des collègues et des familles des victimes ont invectivé le ministre de la sécurité, Ousséni Compaoré, et tenté d’empêcher sa participation à la cérémonie.
Inquiétude des observateurs
En juin, une centaine de « terroristes » ont été neutralisés lors d’une opération conjointe entre les armées du Burkina Faso et du Niger, à la frontière des deux pays, selon un communiqué. Mais de telles annonces peinent à rassurer les populations, qui sont les premières victimes des violences.
Sur le terrain, les forces de sécurité restent complètement absentes de 30 % du territoire et tardent à intervenir, à cause des pistes difficiles d’accès et minées. Selon une source sécuritaire locale, les premières unités du détachement de Sebba, une petite ville chef-lieu de département située à 14 kilomètres de Solhan, ont mis près de sept heures à arriver sur les lieux du massacre, après l’alerte des habitants. « Pourquoi aucune sanction n’a été prise ? Comment expliquer que les assaillants soient revenus le lendemain ? Pourquoi aucune autorité n’est venue compter les morts ? », fustige Yahiya Hama Dicko, qui assure qu’« environ 200 » personnes ont été tuées cette nuit-là.
Au Burkina Faso, le président, dans son discours, dimanche, était attendu au tournant. Comme d’autres ici, l’étudiant, se dit « déçu ». Lui souhaitait « des mesures fortes » et « un remaniement ». Lors d’une conférence de presse le 25 juin, l’opposition a exigé la démission du premier ministre et du ministre de la défense burkinabé. « Le gouvernement n’a pas de stratégie de lutte contre l’insécurité », dénonce le chef de l’opposition, Eddie Komboïgo. La colère et la défiance grandissante inquiètent certains observateurs. « Le risque d’un scénario malien est réel », souffle le journaliste et analyste Boureima Ouedraogo.