En Ethiopie, la province du Tigré en proie à un regain de violences

En Ethiopie, la province du Tigré en proie à un regain de violences

Les Etats-Unis et l’ONU demandent une enquête indépendante après un bombardement de l’armée sur le marché de Togoga qui a fait au moins 64 morts.

Après un statu quo trompeur de quelques mois, la province éthiopienne du Tigré est en proie à un regain d’activité militaire. Dans cette région située dans le nord de l’Ethiopie où le gouvernement éthiopien, mené par Abiy Ahmed, combat depuis novembre 2020 les forces tigréennes issues du parti rebelle du Front populaire de libération du Tigré (TPLF), les derniers jours ont été marqués par de nouveaux combats, d’importants mouvements de troupes et la résurgence de frappes aériennes.

Mardi 22 juin en début d’après-midi, un bombardement de l’armée éthiopienne a fait de nombreuses victimes sur le marché du village de Togoga, situé à une trentaine de kilomètres au nord-ouest de la capitale régionale Mekele. La frappe aurait tué au moins 64 personnes et fait 180 blessés, selon un employé de l’autorité régionale de santé. Des survivants ont raconté comment le déluge de feu s’était abattu autour d’eux alors que des centaines de personnes avaient déployé leurs étals.

Après le bombardement, les soldats éthiopiens ont drastiquement restreint l’accès à la zone. Des ambulances remplies de blessés ont été longuement retenues aux checkpoints. « Si elles sont confirmées, ces obstructions constituent une grave violation de la Convention de Genève », a tonné l’Union européenne mercredi. Deux jours ont été nécessaires aux ONG présentes à Mekele pour rejoindre Togoga.
Nouveau rapport de force

« C’est tout simplement horrible », pointe le membre d’une organisation humanitaire arrivé sur place. L’attaque a été d’autant plus destructrice que les marchés sont pleins à travers le Tigré : la période des semis a commencé, et les paysans affluent pour acheter des graines alors que la province manque cruellement de nourriture. Les Nations unies estiment que 91 % des habitants ont besoin d’aide humanitaire, ce que conteste le gouvernement éthiopien.

Il aura fallu plus de vingt-quatre heures à l’armée éthiopienne pour sortir de son silence et admettre l’existence de cette frappe. Son porte-parole, Getnet Adane, a néanmoins assuré qu’elle visait des terroristes, « des combattants tigréens habillés en civils », et non des civils. Les Etats-Unis, après avoir annoncé des sanctions financières contre l’Ethiopie le 24 mai, demandent une enquête indépendante pour déterminer les responsabilités dans ce carnage, tout comme l’ONU.

Les derniers événements rappellent que la guerre est loin d’être terminée au Tigré, plus de sept mois après son déclenchement et malgré les propos passés d’Abiy Ahmed : fin novembre 2020, le premier ministre annonçait la « phase finale » de son « opération de maintien de l’ordre » contre le TPLF. L’armée éthiopienne, soutenue par son alliée érythréenne, était parvenue à contrôler les principales villes de la province et à maîtriser les axes routiers dès les trois premières semaines du conflit.

Mais les derniers affrontements dessinent un nouveau rapport de force. Opérant jusque-là dans les campagnes en menant des embuscades, ceux qui se font aujourd’hui appeler les Forces de défense tigréennes (TDF) sont passés à l’offensive le 18 juin. Ils ont repris le contrôle d’axes routiers stratégiques. Adigrat, la deuxième ville du Tigré, est même tombée entre leurs mains lundi, alors que le reste du pays se déplaçait aux urnes à l’occasion des élections législatives – un scrutin auquel la province n’a pas participé. Les combattants tigréens y sont restés quelques heures avant de se retirer dans les environs, laissant le contrôle de la cité aux soldats érythréens.
Mekele pratiquement encerclée

Depuis, des bombardements sont entendus aux alentours d’Adigrat. « La situation est très volatile en ce moment, on ne sait pas à quoi s’attendre, reconnaît un humanitaire qui ne peut quasiment plus déplacer son personnel à travers la région depuis la reprise des combats. On en revient au stade zéro, à la situation initiale. »

Une porte-parole du gouvernement éthiopien affirmait début juin que « les opérations de contre-insurrection [étaient] localisées dans deux zones et qu’elles [seraient] finalisées rapidement ». Mais malgré ce ton rassurant, la région semble être le théâtre d’un spectaculaire renversement de dynamique. « L’armée éthiopienne ne contrôle plus que Mekele et ses environs », précise une source humanitaire sur place. Les vols pour la capitale provinciale ont subitement été suspendus jeudi, notamment après la destruction d’un avion militaire éthiopien transportant des armes.

Mekele serait aujourd’hui pratiquement encerclée par les forces tigréennes. Celles-ci se trouveraient à moins d’une trentaine de kilomètres de la capitale régionale. L’armée fédérale éthiopienne mène des frappes aériennes pour freiner leur avancée, comme celle qui est venue s’écraser sur le marché du village de Togoga mardi. Un événement sanglant, qui survient au moment le plus délicat pour Abiy Ahmed, à quelques jours de l’annonce des résultats des élections législatives, censées lui redonner une légitimité.