La frappe aérienne s’est produite à Togoga, une localité située à une trentaine de kilomètres au nord-ouest de la capitale régionale Mekele.
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Une frappe aérienne a touché mardi 22 juin un marché très fréquenté au Tigré, faisant des dizaines de blessés et un nombre indéterminé de morts dans cette région du nord de l’Ethiopie, où le conflit qui dure depuis sept mois a connu ces derniers jours un regain d’intensité.
Le bilan précis était encore inconnu mercredi, en raison notamment d’un accès restreint à la localité de Togoga touchée par cette frappe, située à une trentaine de kilomètres au nord-ouest de la capitale régionale Mekele.
L’ONU a appelé à une « enquête rapide sur cette attaque » menée au lendemain d’élections nationales en Ethiopie, sauf au Tigré notamment, où le scrutin a été reporté sine die en raison du conflit. Une demande d’enquête « indépendante » soutenue par les Etats-Unis, qui ont « condamné fermement » la frappe aérienne, appelant à un « cessez-le-feu immédiat au Tigré ».
Les témoignages de blessés, recueillis par l’AFP à l’hôpital de Mekele où de rares victimes ont été évacuées, dessinent un tableau macabre. « Il y avait beaucoup de blessés et de morts, on marchait sur eux et dans leur sang », raconte Birhan Gebrehiwet, jeune femme de 20 ans, dont la maison, près du marché, a été « totalement détruite ». « Nous avons été enterrés sous les murs et le toit », précise-t-elle.
« Six bombes »
Negash Araya, 47 ans, affirme avoir « vu de [ses] yeux les corps de 58 personnes mortes ». Selon lui, « vers 12 heures 45 », deux avions ont lâché « six bombes ». « C’était le moment le plus animé du marché, il y avait beaucoup de gens des villages alentours », explique-t-il.
Parmi les victimes figurait le fils de Tsigabu Gebretinsae, âgé de 22 ans. Mais cette mère de famille raconte ne pas avoir eu le temps de le pleurer. Sa fille de 12 ans a eu la main mutilée, elle gémit à ses côtés à la descente de l’ambulance à Mekele.
« J’ai perdu un enfant. Maintenant, je ne peux plus en perdre un autre », lâche cette femme de 45 ans, pendant que sa fille reçoit une perfusion de sang. « Il y a encore beaucoup de gens sous les décombres », affirme-t-elle.
L’AFP n’a pas été en mesure de confirmer un bilan indépendant et précis. Ni l’armée éthiopienne, ni l’administration intérimaire régionale n’avaient répondu mercredi soir aux sollicitations de l’agence de presse.
Sur des civières ou grimaçant de douleur, bras ou jambes bandés ou le visage brûlé, 25 personnes sont arrivées en début de soirée à l’hôpital de Mekele, rejoignant six autres – dont trois enfants de 2, 3 et 6 ans – évacuées la veille.
Entraves au secours
Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a indiqué travailler à « faciliter l’évacuation médicale des blessés », dans un communiqué rappelant que « la mission médicale doit être respectée et protégée à tout moment ».
Selon des témoins, des ambulanciers et des médecins interrogés par l’AFP, des soldats ont empêché durant plus 24 heures les gens d’entrer ou sortir de la zone de Togoga, privant les blessés de soins.
L’armée éthiopienne mène depuis novembre, avec l’appui des troupes de la région voisine de l’Amhara et de l’armée érythréenne, une opération militaire au Tigré contre les forces des anciennes autorités régionales.
La mère d’une fillette de 2 ans blessée au ventre a indiqué que son mari, également blessé, n’avait pu passer un barrage de l’armée : « Nous ne savons pas s’il est vivant ou mort. » Un chauffeur d’ambulance racontait également mercredi avoir été empêché de rejoindre la zone. « J’ai essayé de partir de Mekele quatre fois aujourd’hui pour aller aider les gens, mais les soldats ne nous laissent pas passer », a-t-il déclaré.
Un regain de l’activité militaire
« Si le blocage des ambulances qui tentent de fournir une assistance médicale aux blessés après le bombardement est confirmé, cela est inacceptable. Une telle pratique constitue une grave violation de la Convention de Genève et du droit international humanitaire », a affirmé le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell.
Le sous-secrétaire général de l’ONU aux affaires humanitaires, Ramesh Rajasingham, a appelé Addis-Abeba « à mener une enquête rapide et efficace sur cette attaque et les actes ultérieurs privant les victimes de soins médicaux ».
En novembre 2020, le premier ministre Abiy Ahmed a envoyé l’armée fédérale pour arrêter et désarmer les autorités dissidentes de la région, issues du Front de libération du peuple du Tigré (TPLF).
Cette opération militaire s’est transformée en un conflit marqué par de nombreux récits d’exactions sur les civils (massacres, viols…). Selon l’ONU, au moins 350 000 personnes y sont en situation de famine, ce que conteste le gouvernement éthiopien.
Ces derniers jours, le Tigré a connu un regain de l’activité militaire, notamment autour de quelques points stratégiques. Un habitant d’Adigrat a rapporté que les forces du TPLF étaient brièvement entrées mardi dans cette ville située sur un carrefour routier à 115 kilomètres au nord de Mekele après le départ de l’armée éthiopienne.
Quelques heures plus tard, des troupes érythréennes étaient visibles dans les rues. Des tirs d’artillerie étaient également rapportés mercredi soir près de la localité de Wukro, à mi-chemin entre Adigrat et Mekele.