Les élections législatives anticipées doivent avoir lieu ce samedi 12 juin en Algérie afin d’élire pour cinq ans les 407 députés de l’Assemblée populaire nationale. Pour le pouvoir, c’est une étape supplémentaire censée redonner toute leur légitimité aux institutions du pays après la chute d’Abdelaziz Bouteflika en 2019. Mais ce scrutin est rejeté au sein du Hirak et par une partie de la classe politique, dans un contexte de grave crise économique et de répression accrue.
Depuis plusieurs jours, le président Abdelmadjid Tebboune multiplie les interviews dans la presse internationale. Il promeut notamment une « reconstruction de la République ».
L’Algérie vit en effet depuis deux ans une crise de légitimité des institutions et du personnel politique en place. L’enjeu pour le pouvoir, c’est d’enfin réussir à tourner la page du Hirak. « Les autorités algériennes, à travers l’organisation des législatives, cherchent d’abord à acquérir une certaine légitimité par le biais d’un formalisme électoral », explique Brahim Oumansour, chercheur associé à l’IRIS, l’Institut des relations internationales et stratégiques et spécialiste du Maghreb. Selon lui, les autorités présentent ces élections également comme une réponse aux aspirations du Hirak. « Elles veulent donner l’impression d’un changement à travers le renouvellement de la classe politique au sein du Parlement algérien. »
Boycott de l’opposition
Mais au sein du Hirak et de la classe politique, le scrutin est rejeté, comme l’ont été l’élection présidentielle en décembre 2019 et le référendum constitutionnel en novembre dernier. Tous deux marqués par une abstention record. Zoubida Assoul, présidente de l’Union pour le changement et le progrès (UPC), un petit parti d’opposition, estimait que les élections législatives ne peuvent pas, dans leur forme actuelle, être une solution à la crise. Pour elle, ce n’est « qu’une manœuvre du pouvoir pour se recycler, avec les mêmes pratiques et les mêmes mécanismes et les mêmes visages responsables de la crise actuelle ». Son parti, comme d’autres formations d’opposition, appelle au boycott. « Le mouvement populaire continue de contester ces élections, car il maintient ses revendications de départ et appelle à un changement radical du système. Or, ces élections, la plupart des militants du Hirak les considèrent plutôt comme un outil utilisé par les dirigeants pour maintenir le système et non pas un moyen de le réformer », note Brahim Oumansour.
Répression de la contestation
En parallèle de la normalisation des institutions souhaitée par le régime, la répression s’est accrue. Les autorités semblent vouloir étouffer la contestation. Plus de 2 000 personnes ont été arrêtées en deux semaines début mai et désormais les marches du Hirak sont interdites. Le 4 juin, le Comité national pour la libération des détenus comptait encore 214 personnes en détention pour leurs opinions ou parce qu’elles ont participé aux manifestations. Un record depuis le début du mouvement de protestation. Une association proche du Hirak et deux partis politiques d’opposition sont également menacés de dissolution : le Parti des Travailleurs et l’UPC.
Pour le chercheur Brahim Oumansour, « cette politique répressive contribue à aggraver la crise de confiance ». Même analyse de la part du professeur de droit Mouloud Boumghar, pour qui cette répression empêche la tenue d’un scrutin crédible. « Tout ce monde est contre les élections législatives non pas par principe contre les élections, puisque leur revendication principale est celle d’un État de droit démocratique, mais parce que ces élections ne sont pas libres. »
Parlement sans grands pouvoirs
Et alors que les Algériens sont préoccupés par les difficultés sociales et économiques après un an de pandémie et la chute des revenus pétroliers, ces législatives, sans une partie de l’opposition et rejetées par le Hirak, pourraient conduire à un taux de participation très faible, qui plus est, pour élire des députés sans grand pouvoir. « De toute façon, quel que soit le vainqueur de ces élections, ce Parlement a très peu de pouvoir. L’exécutif, dans la constitution algérienne, et le président de la République en particulier, est surpuissant » explique Mouloud Boumghar. « Deuxièmement, la réalité du pouvoir n’est pas entre les mains des autorités civiles. En Algérie, on a l’habitude d’appeler le haut commandement militaire « le pouvoir réel ». Donc l’enjeu en termes de changements est extrêmement faible. L’enjeu en terme d’affichage, pour le pouvoir, est extrêmement élevé ».
Selon les deux analystes, le pays risque donc de rester dans l’impasse politique. Une question est toutefois toujours en suspens : celle de la composition de la future Assemblée populaire nationale. En fonction des résultats du scrutin on verra quelles forces politiques entoureront Abdelmadjid Tebboune. Entre les islamistes, les partis traditionnels de l’ère Bouteflika ou les nombreux candidats indépendants à l’affiliation incertaine.