Dans un précèdent article, nous écrivions que la démission/réduction de Moctar Ouane était un pari politique très risqué pour Bah N’Daw. Propos prémonitoires.
Chronique de ce jour » Où l’appelé du champ a cru pouvoir détrôner le maitre des céans » pourrait être le titre de notre épisode. En voulant changer les règles du jeu au cours du match, le Président de Transition (PT) a involontairement scié la branche sur laquelle il était assis.
Quelle méprise, mais constatons plus tôt que comme d’autres avant lui, le PT a certainement été victime du fameux « syndrome de Koulouba » plus ancien que le COVID-19. La fièvre d’adrénaline du Palais de Koulouba, qui se manifeste par l’ivresse du pouvoir.
Les faits sont sacrés et le commentaire libre, on entendra tout, tout sera écrit sur la mise à la touche du PT et de son PM (Premier Ministre). Les protagonistes de l’affaire ont beau subir des formations en Russie ou en ex-URSS (Bah N’Daw et Sadio Camara) aux Etats-Unis d’Amérique (Assimi Goïta), la mise hors-jeu du duo n’implique ni la France, ni la Russie. Laissons les activistes et les sbires des réseaux sociaux à leur exercice favori et retenons que notre histoire se joue à Bamako ici, par des acteurs maliens. Ne nous laissons pas distraire, Paris et Moscou ne sont pas exempts, tous ont leurs propres problèmes. Les explications de la série titrée « Evènements du 24 mai 2021 » sont plus prosaïques et personne ne nous contera ce qui s’est déroulé sous nos propres yeux.
Le schéma institutionnel, dessiné à l’issue des évènements du 18 Aout 2020, a été construit sur un partage et un équilibre des pouvoirs entre un Président, un Vice-président et un Premier Ministre au niveau de l’Exécutif. Le Vice-Président (VP) a clairement obtenu à l’issue d’âpres négociations avec la CEDEAO, l’exclusivité sur la totalité des prérogatives concernant les domaines de la défense nationale et de la sécurité, contre la remise de la Présidence à un Civil. Auteur principal de la prise du pouvoir et par ricochet nouveau Chef de l’Armée, il devait partager avec le PT l’orientation et la supervision des autres attributions exécutives dans un esprit de complémentarité et de bonne collaboration. Le Premier-Ministre étant en charge de la coordination, de l’animation et de l’exécution du domaine partagé.
A la pratique, au fur et à mesure de l’évolution de la situation politique et sociale dans le pays, le Président Bah N’Daw a fini par inverser suivant touches successives le rapport au niveau du domaine partagé. Ainsi, la mainmise du Président par la mise à l’écart de Assimi du Conseil des ministres, est devenue grande. Dernièrement Bah N’Daw a fait bloc contre une liste de nomination de diplomates, représentants consulaires et autres, parrainée par les responsables militaires. Dans sa démarche le PT menait ses assauts de manière justifiée et soutenable, et restait fort logiquement dans son bon droit, tant qu’il s’agissait de rééquilibrer le partage exécutif.
Cependant cette évolution des rapports de force devait rester mesurée, les dispositions adaptées et préservant le savant dosage de la Charte de Transition qui fait de la défense/sécurité le domaine réservé du VP. Dès lors le PT se devait d’observer une limite objective et proportionnée dans sa reprise en mains des « affaires exécutives » : la LIGNE ROUGE. Mal inspiré et faisant fi du rapport de force (droit et moyens), Bah N’Daw s’est lancé dans une course effrénée de déstabilisation du Vice-Président en tentant de le dépouiller de ses prérogatives. Erreur fatale.
La démission/reconduction du PM Ouane en catimini, avalisée par Goodlook Jonathan émissaire de la CEDEAO, soutenu par l’Union Africaine et les autres partenaires, n’a pas associé le champ politique et social du Mali. Elle a été prise sans la moindre concertation avec l’aile militaire de la Transition et est apparu ainsi comme un véritable camouflet pour le Vice-Président, dont le mythe et l’autorité en tant que chef de l’armée étaient menacés de sape.
Le PT continuait d’entretenir un mythisme complet, par l’absence de prise de paroles et la distanciation avec les acteurs et groupes de la place, donc un silence sourd et pesant s’installait au sein de l’exécutif. Les échanges, discussions autour du nouveau attelage gouvernemental avec la classe politique se menant tambour battant pendant que la centrale syndicale UNTM et ses alliés engageaient un bras de fer.
En clair, Bah N’DAW s’étant assuré d’une mainmise sur le renseignement (rapprochement de Guindo de la DGSE), avec l’appui et le soutien des Généraux Ballo et Doucouré, pouvait s’affranchir totalement de la junte de l’ex-CNSP après avoir bénéficié de ses bienfaits. En agissant dans le sens d’ostraciser la junte et en voulant par réaménagement/rééquilibrage de préséance mettre au-devant le PM sans aucune considération pour le rôle du VP dans la prise du pouvoir, le PT a joué gros.
L’annonce de la liste du nouveau gouvernement (Gouvernement Ouane 2) n’a plus laissé place au doute, le PT a fomenté un coup contre le VP en le mettant hors des prérogatives à lui confiées par la Charte de la Transition. Pour le Chef de l’armée une telle infamie, pouvant saper la cohésion de l’institution militaire à travers les rapports de corps et de grades, ne pouvait être tolérée.
Les Maliens, au regard de la trop grande influence de la junte sur la marche de l’Etat, manifestaient des signes d’exaspération et l’opinion était favorable à un rééquilibrage entre civil et militaire dans les promotions aux différentes fonctions de l’Administration d’Etat. Donc, à regarder de près les choses, le chef de l’Etat disposait de marge et pouvait manœuvrer mais il a manqué de tact et de vista. Le Gouvernement Moctar Ouane 2 par sa composition a fini de doucher les derniers espoirs de nos compatriotes, aucune illusion possible. Les personnalités annoncées étant toutes du sérail, quid de jeunes talents et de compétences novatrices : un gouvernement de copains et de coquins.
Par ailleurs, les Ministères de l’Administration Territoriale et de la Réconciliation Nationale pouvaient bien échapper à l’escarcelle militaire au profit de techniciens (administrateur chevronné, spécialiste des élections, diplomate de carrière, politique…). Mais soustraire de l’emprise de l’ex CNSP la Défense et la Sécurité était casus belli.
Bah N’Daw, en acceptant, en septembre 2020, le poste de Chef d’Etat par procuration à lui confié par la junte, n’ignorait rien quant aux limites formelles et non formelles à ne pas franchir. En se laissant griser par le pouvoir et en voulant exclure le VP, il confirmait le proverbe qui dit que « la logique des aires est bien différente de celle des heures« .
Oui, désormais abonné de voyages dans le « Boeing présidentiel de IBK » et coutumier des salons feutrés des têtes couronnées, des chefs d’Etat, chefs d’institutions et personnalités distinguées, le distingué colonel ancien a fini petit à petit de regarder de haut ces jeunes colonels qui l’ont porté au pouvoir, d’où un mépris qui le dispute à la suffisance voire plus encore à l’arrogance affichée. Il est vrai qu’un adage de chez nous dit qu’une union à trois se joue toujours sur le dos d’un protagoniste, Bah N’Daw a voulu mettre à la touche Assimi et son clan par l’entremise de Moctar Ouane. Comment comprendre autrement qu’au fil de la transition et faisant mine d’intégrer les problèmes et difficultés rencontrés, le Chef de l’Etat n’ait rien trouvé d’autres que d’affaiblir son bienfaiteur de Vice-Président et finalement de réunir les conditions de son élimination.
Aussi, les différents rappels de principes démocratiques, la levée de bouclier et le tollé général après la mise hors-jeu de Bah N’Daw et Moctar Ouane, sont fondés et compréhensibles. Les coups de force sont hors de saison en ce siècle de modernité et de progrès, et la libération immédiate des deux personnalités réconcilierait l’Etat du Mali avec sa constitution en ce qui concerne le respect des droits humains. Mais demander le rétablissement dans leur fonction de Bah N’Daw et Moctar Ouane comme l’ont fait certains politiciens de la place, relève d’une méconnaissance du contexte et des enjeux pis d’une myopie politique. Sachons raison garder, l’attrait d’un pouvoir promis à l’issue des élections dans 9 mois ne saurait tout justifier. Sinon en vertu de la légalité constitutionnelle pure, pourquoi les mêmes n’ont pas exigé le rétablissement d’IBK ou Moussa Timbiné, l’un pour démission sous la contrainte donc viciée et par conséquent irrecevable, l’autre parce qu’au moment de partir, le Président ne peut créer un vide constitutionnel.? Il peut démettre le gouvernement et démissionner, mais en l’occurrence ne réunissait plus les conditions pour dissoudre l’Assemblée Nationale dont le Président comble la vacance du pouvoir.
Apres seulement neuf mois à la tête de la Transition, c’est l’heure du bilan pour Bah N’Daw Le PT, assis sur la baïonnette du fusil du chef des forces spéciales maliennes, n’a rien trouvé d’autre que de le narguer, pensant à tort ou encourager par une soudaine légitimation obtenue à l’international. Oui le coup de poker menteur joué par Bah N’Daw consistant à mettre hors de ses prérogatives le VP – Chef de la junte militaire – plus qu’un pari risqué était tout simplement une opération de suicide dans le sens plein de l’expression : arroseur -arrosé
Les concerts de condamnation et l’inclinaison de la communauté internationale ne peuvent être les seuls baromètres de la situation politique intérieure. A présent, cette situation, aussi gravissime qu’elle soit, créé une opportunité nouvelle. Ne nous voilons pas la face, il existait bien au sein de cette transition des contradictions inouïes dont l’abcès peut être non seulement réparateur mais aussi créateur de dynamiques nouvelles.
Regardons les choses avec calme et lucidité, en allant au-delà du fétichisme. Plus rien n’est tabou, ni la durée, ni les organes, ni l’organisation, ni les objectifs… allons vers le processus de Rectification de la Transition et reconnaissons après l’avoir longtemps récusé que l’idée d’assisses nationales de la réfondation dont l’organisation reste la quête du M5RFP a finalement du sens. A cette étape cruciale ne permettons pas aux ingérences extérieures une inversion d’orientation, la peur bleue de sanctions internationales nous a souvent causé plus de tort que les sanctions à subir.
La communauté internationale fonctionne sur des valeurs, règles et principes mais elle intègre intelligemment la réalité terrain, le moins qu’on puisse dire c’est que les Maliens dans leur grande majorité (politiques, syndicats, société civile, lambda) comprennent et tolèrent la mise à l’écart du Duo N’Daw-Ouane et attendent juste de Assimi et de son clan de s’assumer. Cela aussi ne peut laisser indiffèrent la communauté internationale. Poursuivons, dans l’entente et l’unité retrouvée, notre propre destinée.