Intervenant sur RFI et France 24, Paul Kagame a affirmé qu’« il n’y a pas eu de crime, absolument pas » il y a plus de vingt ans, dans l’est de la République démocratique du Congo.
Des propos du président rwandais Paul Kagame niant les crimes commis par des armées étrangères il y a plus de vingt ans en République démocratique du Congo suscitaient mardi 18 mai de vives réactions dans le pays, où beaucoup y ont vu du « négationnisme ».
Dans une interview accordée lundi aux médias français RFI et France 24, M. Kagame a affirmé que dans l’est de la RDC, « il n’y a pas eu de crime, absolument pas (…) ».
Plus grand pays d’Afrique subsaharienne, la RDC a connu deux guerres entre 1996-1997 et 1998-2003, particulièrement meurtrières et qui ont déstabilisé en profondeur la région frontalière des Kivus. Le pays a frôlé l’éclatement au cours de ces conflits impliquant de nombreuses milices et les armées de plusieurs pays de la région, en particulier le Rwanda et l’Ouganda.
Contacté par l’AFP, le porte-parole du gouvernement congolais, Patrick Muyaya, n’a pas réagi immédiatement. La prise de position de M. Kagame « n’est ni plus ni moins que du négationnisme des crimes commis en RDC », a déclaré à l’AFP le député Juvénal Munubo, rapporteur de la commission défense et sécurité à l’Assemblée.
« Non au négationnisme »
« Paul Kagame n’était jamais allé si loin dans sa façon de narguer les Congolais », a estimé cet élu, partisan du président Félix Tshisekedi, mais qui s’est dit « étonné du silence » des autorités congolaises.
Entre 1996 et 2002, « des armées du Rwanda, de l’Ouganda et du Burundi ont fait régner la terreur et des campagnes d’épuration des populations civiles. Non au négationnisme », a réagi l’ancien ministre de la jeunesse Billy Kambale.
« Nous n’accepterons pas les propos négationnistes de qui que ce soit sur les crimes commis en RDC », a fustigé pour sa part l’opposant Martin Fayulu, déplorant que « les Congolais se fassent narguer du fait de l’absence d’un leadership légitime et fort à la tête du pays ».
« C’est ahurissant d’entendre M. Kagame tenir de tels propos, a condamné, refusant d’être nommé, un ancien ministre et proche de l’ex-président Joseph Kabila. Il sait très bien que des crimes graves ont été commis par les troupes rwandaises, ougandaises et burundaises. »
Pour le mouvement citoyen Lutte pour le changement (Lucha), « les propos insultants et dénigrants de M. Kagame viennent souiller la mémoire des milliers de victimes congolaises ».
Le rapport Mapping « hautement contesté »
Dans son interview, le président rwandais a par ailleurs accusé le docteur et Prix Nobel de la paix Denis Mukwege, très en pointe dans la lutte pour la reconnaissance des crimes commis pendant les deux guerres du Congo mis en avant par le rapport Mapping de l’ONU, d’être « un outil de forces que l’on ne voit pas ».
« On lui dit quoi dire (…). Le rapport du projet Mapping [qui répertorie plus de 600 violations graves des droits humains commises en République démocratique du Congo entre 1993 et 2003] a été extrêmement controversé en RDC. Il est hautement contesté par les gens, il a été très politisé », selon M. Kagame, pour qui d’autres rapports « disent tout à fait l’inverse ». Dans une interview au Monde, Paul Kagame affirme aussi que « le rapport Mapping a été créé pour promouvoir cette idée du double génocide ».
M. Kagame « ne peut se permettre de traiter le docteur Mukwege, notre Prix Nobel, de marionnette (…). Nous demandons une réaction officielle du gouvernement », a déclaré à l’AFP Bienvenu Matumo, un leader de Lucha.
« Ces propos du président Paul Kagame sont une insulte à la mémoire de nos morts, une insulte à tout le peuple congolais », a dénoncé sur Twitter Filimbi, un autre collectif prodémocratie : « Nos autorités ne peuvent en aucun cas rester aphones ! Non au négationnisme ! »
Sollicité par l’AFP, le chargé de communication du docteur Mukwege a simplement déclaré que « le docteur n’a pas de réaction à émettre sur les propos tenus par M. Kagame. Le docteur est là et s’occupe de ses malades ».