Des combats ont toujours lieu dans la province éthiopienne du Tigré, entre la rébellion et les troupes fédérales éthiopiennes, appuyées par des miliciens amharas et l’armée érythréenne. Celle-ci est accusée de nombreux crimes et la communauté internationale exige son départ d’Éthiopie. Mais que sait-on de cette armée et de ses soldats ? Du côté érythréen, on évoque des enrôlements forcés, des soldats livrés à eux-mêmes sur le front, et de nombreuses désertions.
En Érythrée, les rafles de conscrits ont démarré bien avant la guerre dans le Tigré. Mais cela s’est accéléré au mois d’avril 2020, quand le pays a été placé en confinement général, au prétexte de la pandémie de Covid-19, précise la journaliste Meron Estefanos, fondatrice de l’Eritrean Initiative on Refugee Rights et qui maintient un contact permanent avec le pays et les réfugiés qui s’en évadent. « Il était facile de venir cueillir les jeunes chez eux et l’armée ne s’en est pas privée, explique-t-elle, preuve que la guerre était en préparation depuis des mois. »
Après le début des combats en novembre, les rafles – les « giffas », comme on dit en Érythrée – n’ont pas cessé. « L’armée a eu soudain besoin de sang neuf, ajoute Meron Estefanos qui prépare un rapport sur le sujet. Donc elle a capturé autant d’adolescents que possible. » Ce sont eux qu’on retrouve au front, ou prisonniers du TPLF, comme l’ont montré plusieurs interviews diffusées par la chaîne de télévision de la rébellion tigréenne.
L’enrôlement forcé d’enfants soldats est une vieille habitude en Érythrée, raconte Amanuel Ghirmay, journaliste de Radio Erena, lui-même ancien militaire. « Mi-mars, raconte-t-il, plusieurs centaines de prisonniers de droit commun ont ainsi été transférés à Wia, un camp-prison dans le désert près de Massawa, pour être préparés à être envoyés au front. » Pour la plupart, précise-t-il, il s’agissait de « garçons et de filles des rues impliqués dans des bagarres ou des vols ».
Une fois dans le Tigré, le cauchemar continue pour ces conscrits à peine entraînés, ajoute-t-il. Ils sont d’abord fanatisés par le visionnage permanent de films de propagande sur les crimes commis par le TPLF lors de la guerre de 1998-2000, puis envoyés se battre sans plus aucun contact avec l’arrière. « Les conscrits n’ont pas de rations alimentaires une fois dans le Tigré, raconte Meron Estefanos. Ils sont affamés. Donc ils mendient, pillent ou volent. Et ceux qui le peuvent désertent à la première opportunité. »
On compterait ainsi des centaines de déserteurs cachés en Éthiopie, selon plusieurs sources qui font aussi état de récentes descentes de la police éthiopienne à Addis-Abeba pour les capturer.
Ceux qui le peuvent, en Érythrée, cherchent donc à tout prix à éviter d’être enrôlés pour échapper à ce « cauchemar ultra-violent », dit Meron Estefanos. Selon elle, une nouvelle route clandestine a donc été ouverte par des trafiquants depuis Asmara jusqu’à Addis-Abeba, qui exfiltre en quelques jours des parents et leurs enfants, ainsi que des réfractaires.