Guinée : toujours pas de résultats officiels ni d’accalmie

La guerre des chiffres se joue sur deux fronts en Guinée. Premièrement, la contestation des résultats de la présidentielle du 18 octobre, alors que le processus de comptage des voix est toujours en cours. La Commission électorale nationale indépendante (CENI) a publié mercredi soir les résultats de 16 nouvelles circonscriptions sur 38 – n’en manque plus que 18.

L’institution n’a pas encore récupéré l’intégralité des procès-verbaux des bureaux de vote, « mais nous mettons la pression pour obtenir ce qui nous manque dans trois circonscriptions », assurait ce jeudi matin son président Kabinet Cissé. À partir de là, on pourrait connaître, dans un délai maximum de 72 heures, le nom du vainqueur… officiel. Car de son côté, l’opposant Cellou Dalein Diallo a revendiqué sa victoire dès lundi. Un document publié ce mercredi soir par la commission électorale de son parti, l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG), le crédite de 53,8 % des suffrages, contre 39,4 % pour le président sortant et candidat à un 3e mandat Alpha Condé. Le taux de participation, quant à lui, serait à 65,66 % selon cette source.

Le bilan des victimes des violences post-électorales qui ont éclaté lundi en fin d’après-midi constitue le 2e front. Le ministre de la Sécurité et de la Protection civile Albert Damatang Camara a fait état ce mercredi de 9 morts dont deux policiers entre lundi et mercredi. Il pointe notamment « de multiples agressions sur des paisibles citoyens » sur la route Le Prince, dans la capitale. L’UFDG de son côté dénombrait au moins 13 morts, civils, rien que pour la journée de mercredi. Deux bilans contradictoires, qui se sont encore alourdis jeudi.

Nouvelle victime dans les rangs du FNDC

À Pita, localité de Moyenne-Guinée (Fouta Djalon), Daouda Kanté, professeur de karaté et coordinateur du Front national de défense de la Constitution (FNDC), a été tué par balle. C’est le deuxième décès en deux jours d’un représentant du FNDC, mouvement de partis politiques et d’organisations de la société civile qui s’oppose dans la rue à un 3e mandat d’Alpha Condé depuis avril 2019.

Selon le mouvement, qui craint que ses membres ne soient particulièrement ciblés dans ce contexte répressif, il aurait été tué par le Bataillon des troupes aéroportées (BATA), un commando de bérets rouges initialement basé au Camp Alpha Yaya de Conakry. Des échauffourées entre des groupes de jeunes et les forces de l’ordre avaient éclaté dès mercredi dans cette ville du Fouta, faisant deux morts, selon nos confrères de Guineenews.

À Conakry, on dénombre au moins quatre nouveaux décès sur l’ « axe » Le Prince, longue double voie qui scinde la capitale en deux et aligne des quartiers réputés pro-opposition. Il s’agit de 4 jeunes hommes âgés de 18 à 21 ans : un étudiant et trois chauffeurs. Tous ont été tués par balle jeudi en début d’après-midi dans les quartiers de Koloma et de Sonfonia Gare selon leurs familles. La route Le Prince s’est embrasée lundi en fin d’après-midi. Des milliers de personnes avaient investi la rue pour célébrer la victoire à la présidentielle que venait de s’attribuer Cellou Dalein Diallo. Mais la situation a très vite dégénéré en affrontements entre certains de ses militants et les Forces de défense et de sécurité, faisant 4 morts. Au total, l’UFDG déplore 17 morts à Conakry depuis lundi.
Conakry toujours sous tension

Plusieurs zones étaient encore en ébullition ce jeudi. Vers midi, à Hamdallaye, quartier de l’axe le plus proche du centre, un tas de détritus fume encore. En direction du rond-point de Bambeto, un kilomètre plus haut, des tirs résonnent. Surgis à moto de l’épais nuage sombre qui bouche l’horizon, Nabi, 28 ans, téléphone en main, raconte la scène : « On était dans la foule. Plusieurs jeunes en colère jetaient des pierres sur les gendarmes. Ils avaient fait des barrages pour les empêcher d’entrer dans les quartiers. Ils ont même cassé des lampadaires pour faire des barrages. Les gendarmes avançaient et tiraient en l’air, en aspergeant de gaz. Au niveau d’Hamdallaye Pharmacie, vers le carrefour Gnariwada, on a entendu des gens crier. Il y avait deux blessés, deux jeunes garçons. L’un avait reçu une balle dans le ventre, et l’autre au niveau de l’épaule. On les a évacués vers l’hôpital Jean-Paul II. On n’a pas vu qui a tiré, mais il n’y avait que 3 pick-up de gendarmes et le gros camion à gaz lacrymogènes. » Une heure plus tard, d’autres cris. C’est un jeune « d’environ 17-18 ans » qui est à terre cette fois, lui aussi blessé par balle. « Les gens se sont rebellés encore contre les gendarmes, mais eux ont continué de tirer », assure-t-il. Et de montrer une vidéo qui a surtout capté des scènes de panique sur fond de tirs nourris.

Pourquoi cette colère, et surtout cette détermination face à des hommes en arme ? « Il y a les premiers résultats de la CENI qui donnent Alpha (Condé) vainqueur, alors que beaucoup d’habitants avaient fêté la victoire de Cellou, mais aussi la coupure de courant. Depuis mardi, on n’a plus du tout plus d’électricité dans le quartier », répond Boubacar, 32 ans.

Des tensions ravivées aussi par l’assignation à résidence imposée au président de l’UFDG Cellou Dalein Diallo. Autour de son domicile de La Minière, dans la commune de Dixinn, sont postés 7 pick-up et deux camions de la gendarmerie et de la CMIS (Compagnie mobile d’intervention et de sécurité), une unité de police antiémeute. Ce dispositif a été déployé dès mardi soir. Quant à son QG du quartier CBG Hamdallaye, habituellement bondé de militants, il a été bouclé, après une intervention ce mercredi soir des Forces de défense et de sécurité qui ont « (forcé) les portes d’accès aux bureaux et (tout) détruit sur leur passage », selon un communiqué de l’UFDG. Fermé par une chaîne cadenassée, le portail est désormais gardé par deux pick-up de policiers et de gendarmes. « Ce pays nous appartient », lâche l’un d’eux.

Crise régionale

Alors que le bilan humain s’alourdit de jour en jour en Guinée sans susciter la moindre réaction de la communauté internationale, le think-tank Afrikajom, créé à Dakar par le défenseur des droits humains Alioune Tine a publié un communiqué sur « la crise régionale de la démocratie » en Afrique de l’Ouest. Il pointe les « dysfonctionnements et la défaillance des organes de régulation et d’arbitrage nationaux (CENI, CEI, CENA, Conseil constitutionnel, ou Cour constitutionnelle), ou régionaux (Cedeao, Union Africaine, etc.) qui ne répondent plus à leurs fonctions de régulation de la violence en Afrique de l’ouest ». Notant que « « rien, absolument rien ne semble pouvoir arrêter certains présidents africains qui veulent s’éterniser au pouvoir par tous les moyens », le think-tank préconise un Sommet extraordinaire de la Cedeao, une réforme profonde de la Commission de la Cedeao et de « repenser l’observation des élections qui tourne à vide et (est) ». En Guinée, la mission conjointe de la Cedeao, de l’Union africaine et de l’ONU, dépêchée début octobre à Conakry, s’était montrée satisfaite de sa rencontre avec le président sortant et candidat à un 3e mandat Alpha Condé. « C’est un démocrate et il continuera toujours à prouver son caractère démocrate », avait déclaré la cheffe de mission, la ministre ghanéenne des Affaires étrangères Shirley Ayorkor Botchway.