Pour se prémunir contre l’échec aux élections législatives d’octobre annoncé par les sondages, qui attribuent aux vainqueurs pas plus de 10 à 20 % des sièges de l’hémicycle, les partis se lancent dans des calculs et enclenchent la stratégie des alliances. En moins de quinze jours, trois ont vu le jour.
Le mouvement Wafa, conduit par Abderraouf Ayadi, d’abord, a rejoint Hizb el-Harak de l’ancien président de la République Moncef Marzouki, reconstituant ainsi l’essentiel du socle du Congrès pour la République (CPR), dont ils sont tous deux issus et qui avait été dans le trio de tête de la Constituante. À eux se greffe l’initiative Tounes Okhra lancée par des indépendants.
Al Moubadara de Kamel Morjane, mouvance destourienne qui a perdu de sa cote depuis sa création en 2011, a rallié Tahya Tounes, la nouvelle force politique créée en soutien au gouvernement de Youssef Chahed. Les deux se rejoignent sur la préservation de la stabilité gouvernementale et la nécessité de la mise en place des instances constitutionnelles. Cela suffira-t-il à souder une alliance solide, d’autant que Kamel Morjane avait annoncé sa candidature à la présidentielle ?
Depuis son congrès constitutif, organisé début mai 2019 à Tunis, Tahya Tounes cherche également à élargir son assise. La formation avait d’ailleurs invité toutes les forces politiques aux référents modernistes communs à se rapprocher d’elle. D’autres coalitions se profilent : Mohsen Marzouk, fondateur puis dissident de Nidaa Tounes, rejoindrait avec son parti Machrou Tounes la branche nidaouie dite de Hammamet, celle de Sofiene Toubel.
Un retour au bercail des enfants prodigues qui n’ont pas pu – ou su – accroître leur audience ou valorisation en nouant d’autres alliances ? Avant cela, Mohsen Marzouk semble vouloir négocier car le 26 mai, Selim Azzabi, secrétaire général de Tahya Tounes, a lui aussi annoncé l’examen d’éventuelles fusions avec Machrou Tounes et Al Badil Ettounsi.
Faire bloc contre Ennahdha
Grossir les rangs, faire front… la démarche n’est pas nouvelle. En 2014, l’actuel président de la République, Béji Caïd Essebsi, fondateur de Nidaa Tounes et alors candidat à la présidentielle, avait tenté de rassembler la famille centriste dite progressiste, avec pour objectif avoué de faire bloc contre les islamistes d’Ennahdha. Une tentative qui a fait long feu, en raison des tiraillements politiques et de l’attitude hégémonique du parti.
Ennahdha et le Front populaire sont les seuls mouvements à compter sur un électorat acquis, mais ne représentent à eux deux que 25 % des intentions de votes
En 2019, la donne est la même : Ennahdha, avec le Front populaire, est le seul mouvement à compter sur un électorat acquis. Mais à eux deux, ils ne représentent en moyenne que 25 % des intentions de votes. Bien loin de cette fameuse majorité absolue requise pour s’assurer de confortables marges de manœuvre au cours du prochain mandat.
Éparpillement des voix et défiance
L’actuel mandat se clôt sur un constat tragique : le régime parlementaire, en l’absence de majorité tranchée à l’Assemblée, rend la Tunisie ingouvernable. Une situation paralysante due, en amont, au scrutin au plus fort reste prévu par la loi électorale, et, en aval, à l’incapacité des partis à récolter un maximum de suffrages.
Avec 218 formations, l’offre est pléthorique et entraîne systématiquement, depuis la tenue des premières élections libres en 2011, un éparpillement des voix fatal aux mouvements politiques. À cela s’ajoutent une désaffection et une défiance des Tunisiens à l’égard de la politique, qui se traduit par une abstention à hauteur de 31 % aux législatives de 2014, et de 34,4 % aux municipales de 2018. Le même scénario risque de se répéter lors du prochain scrutin législatif d’octobre 2019.
Pour certains électeurs, ce ne sont toutefois pas les alliances qui feront la différence, mais bel et bien les programmes. « Qu’on arrête de nous dire qu’il faut sauver la Tunisie, améliorer ses indicateurs, en finir avec la crise économique, etc. Tout le monde s’accorde là-dessus. Par contre, aucun parti n’expose sa stratégie pour redresser la barre et juguler les inégalités », tempête Fakher Chimi, un militant du mouvement citoyen « manech msamhin » ( nous ne pardonnons pas), qui se dit « opposé à la survivance de l’ancien système et à la corruption ».