Le Soudan s’apprête à observer mardi une grève générale à l’appel de la contestation pour accroître la pression sur l’armée, qui refuse de transférer le pouvoir aux civils, plus de six semaines après avoir écarté Omar el-Béchir sous la pression de la rue.
Des employés de l’aéroport de Khartoum, de la Banque centrale, de la compagnie nationale d’électricité, ou encore des fonctionnaires du parquet général, ont annoncé leur participation à cet arrêt de travail de 48 heures prévu mardi et mercredi.
« Nous sommes là pour dire qu’un gouvernement civil est l’unique solution pour répondre aux revendications du peuple soudanais », a expliqué Hazar Moustafa. Cette dentiste s’exprimait durant une marche organisée avec ses collègues dans le centre de Khartoum pour annoncer leur adhésion à la « grève générale » et à la « désobéissance civile ».
« Nous considérons le Conseil militaire (au pouvoir) comme une partie de l’ancien régime. Jamais nous ne le verrons comme capable de nous donner le moindre droit ou de nous conduire vers un État juste », a-t-elle ajouté.
« Monter la pression d’un cran »
Depuis le 6 avril, des milliers de manifestants campent devant le siège de l’armée à Khartoum. Après avoir demandé le soutien de l’armée contre le président Omar el-Béchir, ils réclament désormais le départ des généraux qui ont pris le pouvoir après avoir évincé le chef de l’État le 11 avril.
Des discussions ont été lancées pour trouver un accord sur une instance de transition entre les généraux du Conseil militaire et des civils de l’Alliance pour la liberté et le changement (ALC) qui mènent depuis plus de cinq mois le mouvement de contestation.
Mais des divergences persistent, notamment sur la composition d’un futur Conseil souverain censé assurer une transition post-Béchir de trois ans, chaque camp y réclamant une majorité des sièges.
Face au refus persistant des militaires de céder le pouvoir, l’ALC a décidé d’utiliser l’ »arme devenue inévitable » de la grève générale.
En cas d’absence de réaction des militaires face à cette action, Wajdi Saleh, membre de l’ALC, a menacé lundi soir de faire « monter la pression d’un cran vers une grève générale indéfinie ». « Nous espérons ne pas en arriver là et que nous aboutirons à un accord », a-t-il ajouté lors d’une conférence de presse.
« Message clair au monde »
« Notre appel à la grève a reçu un accueil favorable encore plus important que ce que nous espérions », a déclaré à Siddiq Farouk, un des leaders de l’ALC.
« La grève de deux jours a pour objectif d’envoyer un message clair au monde entier: le peuple soudanais souhaite un changement réel et n’acceptera pas de laisser le pouvoir aux mains des militaires », a-t-il ajouté.
« La grève est un moyen et non une fin en soi, elle est le droit ultime du peuple pour réaliser ses revendications », a estimé Siddiq Farouk.
Mais cet appel a aussi révélé des dissensions au sein du mouvement de contestation.
L’historique parti d’opposition al-Oumma, dirigé par l’ancien Premier ministre Sadek al-Mahdi et membre de l’ALC, a rejeté dimanche cette action, évoquant un « désaccord sur son calendrier et sa préparation ».
« Une grève générale est une arme qui ne devrait être utilisée qu’après avoir fait l’objet d’un consensus » au sein de l’ALC, s’est justifié al-Oumma, appelant toutefois à maintenir « l’unité » au sein de la contestation.
Al-Oumma a néanmoins défendu le « droit » des travailleurs à faire grève.
Sadek al-Mahdi, ex-chef de gouvernement élu que le président déchu Omar el-Béchir avait renversé lors d’un coup d’État soutenu par les islamistes en 1989, avait déjà appelé les manifestants à ne pas « provoquer » les militaires.
Le Parti du congrès soudanais, également partie prenante majeure de l’ALC, a de son côté annoncé son adhésion à la grève, dénonçant « le mur d’intransigeance du Conseil militaire ».
Rencontres internationales
Alors que les chefs de la contestation mobilisaient la société civile pour la grève, les généraux ont multiplié ces derniers jours les rencontres avec les dirigeants étrangers qui les soutiennent.
Le chef du Conseil militaire, Abdel Fattah al-Burhane, s’est rendu dimanche aux Emirats arabes unis au lendemain d’une visite en Egypte, deux pays qui soutiennent les généraux au pouvoir au Soudan.
À l’instar du président égyptien Abdel Fattah al-Sissi, le prince héritier d’Abou Dhabi, cheikh Mohammed ben Zayed Al-Nahyane, a assuré au général soudanais que les Emirats se tiendraient « auprès du Soudan dans ses efforts pour préserver la sécurité et la stabilité ».
Le chef adjoint du Conseil militaire, Mohamad Hamdan Daglo, dit « Himeidti », a pour sa part rencontré le 24 mai le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane à Jeddah, dans l’ouest de l’Arabie saoudite, chacun ayant exprimé son soutien à l’autre.
Les représentants des manifestants ont rencontré les ambassadeurs britannique et saoudien à Khartoum. Ils ont notamment demandé le soutien de Ryad « pour l’instauration d’un pouvoir civil de transition ».