Trois personnes ont été tuées et une quarantaine d’autres blessées dans des affrontement intercommunautaires à Béoumi, près de Bouaké. Une simple altercation entre deux hommes a provoqué l’escalade de violences, ravivant des tensions déjà observées lors des dernières élections. Un couvre-feu a été instauré de 18 h à 6 h du matin.
La nuit de jeudi a vendredi a été calme à Béoumi, après deux jours d’affrontements intercommunautaires durant lesquels trois personnes ont été tuées et une quarantaine d’autres blessées, parmi lesquels des policiers touchés par des balles de fusil artisanal. Un couvre-feu avait été instauré de 18 h à 6 h du matin et des renforts venus de Bouaké, Yamoussoukro et Abidjan ont été déployés. Toute la nuit, policiers et gendarmes, appuyés par des soldats dépêchés depuis la ville voisine de Bouaké, ont sillonné les quartiers et certains villages de la commune, en vue de mettre aux arrêts d’éventuels fauteurs de troubles et de faire la chasse aux éventuels pilleurs.
Tensions économiques et politiques
Selon Jean-Marc Kouassi, le maire de Béoumi, tout est parti d’une violente altercation entre un conducteur de « moto-taxi » et un chauffeur de véhicule de transport en commun, issus de communautés différentes : baoulé et malinké. Les deux hommes se sont battus, et le premier protagoniste a été admis en urgence à l’hôpital de la ville, et la rumeur de sa mort a rapidement couru en ville.
Il n’en a pas fallu plus pour raviver des tensions latentes et entraîner la ville dans une spirale de violences. Pendant deux jours, des jeunes des deux communautés se sont violemment affrontés, s’en prenant par ailleurs aux forces de l’ordre qui tentaient de s’interposer.
« Depuis les dernières élections, la tension règne, on ne peut pas se le cacher. Lors des élections, il y a eu des affrontements », relève Jean-Marc Kouassi, maire indépendant rallié au Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI d’Henri Konan Bédié). Lors des municipales d’octobre 2018, des violences avaient éclaté entre des membres des communautés baoulé – réputée acquise au PDCI -, et malinké – réputée proche Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP, d’Alassane Ouattara).
Au-delà de ces tensions politiques, les crispations entre les deux communautés reposent également sur des questions économiques, des épisodes de violences surgissant autour de problématiques économiques et foncières.
En octobre 2018, des affrontements entre communautés baoulé et malinké avaient ainsi éclaté à Marabadiassa, une ville voisine de Béoumi. Au cœur de la querelle, un conflit de délimitation foncière entre deux villages – l’un baoulé, l’autre malinké -, de cette petite sous-préfecture située entre le centre baoulé et le nord malinké. La crise avait alors été réglée par les autorités administratives.
Autre point de crispation, le transport. « Il y a une sorte de répartition des rôles dans le secteur du transport entre Baoulés et Malinkés, confie un officier en poste à Béoumi depuis plusieurs années. Jusque-là, le transport à Béoumi était contrôlé par des Malinké. Depuis quelque temps, des jeunes autochtones baoulé s’adonnent à cette activité et cela est source de tension. Le feu couvait ».
Des violences récurrentes
Les tensions intercommunautaires sont récurrentes en Côte d’Ivoire. Aucune région n’est épargnée. En sept ans, vingt-sept attaques de locaux de préfectures et de sous-préfectures ont été comptabilisées de source officielle dans des épisodes d’émeutes. Les derniers affrontements de ce type ont éclaté à Zikisso, dans le centre-ouest du pays. Ils ont opposé des membres des communautés locales dida et malinké.
En février, une étude menée par une équipe de sociologues et des criminologues, commandée par le Conseil national de sécurité (CNS), dépendant de la présidence ivoirienne, avait conclu à une profonde crise de confiance entre l’administration et les administrés. « Les populations qui n’ont plus confiance dans les autorités veulent elles-mêmes régler leurs comptes, ce qui peut conduire à des actes de violences », explique le sociologue Ange Dago.
Pour tenter de résorber les crises communautaires, un secrétariat d’État chargé du service civique a été créé par le président Alassane Ouattara en juillet 2018. Le détail de la stratégie nationale du service civique et sa mise en oeuvre, annoncée par le secrétaire d’État Siaka Ouattara, est toujours attendue.