L’opération avait été présentée comme une « riposte » de l’armée burkinabè qui annonçait début février avoir « neutralisé 146 terroristes » lors d’une vaste opération à Kain et Bahn dans le Nord. Un mois plus tard, le 13 mars, le Mouvement burkinabè des droits de l’homme et des peuples (MBDHP) attribue « l’exécution sommaire de soixante personnes » à l’armée pour la seule ville de Kain.
Le coup de force est intervenu peu après la prise de fonction du nouveau ministre de la Défense, Chérif Sy, et du nouveau chef d’état-major général des armées, le général de brigade Moïse Minoungou. Ce changement à la tête de l’appareil sécuritaire visait à juguler la crise sécuritaire à laquelle le Burkina fait face depuis 2015, les attaques de groupes terroristes ayant causé la mort de 500 civiles et militaires, et fait plusieurs centaines de blessés. De nombreux biens publics et privés ont aussi été détruits.
Mais un mois plus tard, dans un rapport accablant, le Mouvement burkinabè des droits de l’homme et des peuples (MBDHP) pointe « des exécutions sommaires, extrajudiciaires, des populations civiles » à Kain, près de la frontière avec le Mali.
« Les militaires sont arrivés dans le village le 4 février vers 10 heures. Ils sont entrés dans notre maison et ont pris mon grand frère et mon cousin. Ils les ont regroupés avec les autres, non loin des maisons, avant de les exécuter. Après les avoir tués, ils sont repartis avec leurs cartes nationales d’identité », raconte un témoin rencontré par la mission du MBDHP dans le village de Tiabéwal, où 22 personnes auraient été exécutées.
L’organisation dit avoir constaté sur place des traces de sang séché sur le lieu présumé de l’exécution et des tombes désignées comme celles des victimes. Un autre témoin à Daybara raconte : « les militaires sont arrivés à moto vers 3 h 30 du matin. Amadou était couché sur une natte. Ils l’ont fait sortir de la maison et l’ont mis à côté de sa moto. Ils ont tiré sur le réservoir de la moto qui a pris feu, avant de le tuer. »
« Soutien » à l’armée
Au total, le MBDHP dresse un bilan de 60 personnes tuées dans cette localité, sur les 146 annoncées dans le communiqué de l’état-major général des armées. Il relève également des cas de « violation de l’intégrité physique des personnes, de destruction de biens privés, ainsi que le déplacement forcés de plusieurs milliers de personnes ».
Contactés par Jeune Afrique, plusieurs officiels n’ont pas souhaité réagir, renvoyant à un communiqué du Porte-parole du gouvernement, Rémis Fulgance Dandjinou. « Tout en émettant des réserves sur les méthodes d’investigation des acteurs du MBDHP, [ce dernier] prend acte des allégations et rassure que des investigations sont en cours sur les faits présentés », détaille le texte publié le 14 mars. Le gouvernement a par ailleurs réaffirmé son « soutien » aux FDS et dont il a « salué [le] professionnalisme ».
Lors d’une conférence de presse, le 13 mars, Chrysogone Zougmoré, le président du MBDHP, a pointé le risque d’une perte de confiance des populations envers l’armée, pourtant indispensable pour lutter contre le terrorisme.
« Toutes les opérations de sécurisation du territoire sont menées en respectant le principe de la gradation de la force : le simple contrôle, l’interpellation, l’arrestation et la neutralisation en cas de nécessité », rétorque l’exécutif burkinabè. Preuve du professionnalisme de l’armée, selon lui, 700 présumés terroristes seraient actuellement détenus dans les prisons du pays.
« Sentiment de stigmatisation » dans la communauté peule
Pour autant, la liste des victimes dressée par le rapport compte majoritairement des victimes peules. « Ces actions contribuent à renforcer un sentiment de stigmatisation au sein des membres de la communauté peule. Ceux-ci se sentent menacés du fait de leur appartenance ethnique. Cette situation constitue un grave danger pour l’unité nationale et la cohésion sociale », regrette le MBDHP. Ces populations se retrouvent prises entre deux feux : « à la fois victimes du terrorisme et de la lutte anti-terroriste ».
Aly Sanou, secrétaire général du mouvement, contacté par Jeune Afrique, recommande pour sa part que « des enquêtes sérieuses et impartiales » soient menées, ainsi que « des actions concrètes pour assurer le vivre ensemble ». « Nos FDS doivent également intégrer la dimension droits humains dans leurs opérations de lutte contre le terrorisme », conclut-il.