L’agence de presse soudanaise officielle Suna a diffusé cinq nouveaux décrets, lundi 25 février, pour tenter d’enrayer la contestation sociale inédite débutée en décembre et qui a fait des dizaines de morts.
Omar el-Béchir donne un tour de vis supplémentaire. Les cinq décrets restreignent un peu plus les libertés publiques tout en élargissant les pouvoirs des forces de sécurité. Elles ont désormais le droit de fouiller tout bâtiment, de restreindre les mouvements des personnes et des transports publics, ou encore d’arrêter ceux suspectés de crime lié à l’état d’urgence.
Un état d’urgence décrété vendredi qui n’a pas permis de stopper les manifestations. Elles ont continué ce week-end et entraîné de nouveaux morts. Le pouvoir poursuit donc sa fuite en avant. Selon l’International Crisis Group, le président el-Béchir avait déjà utilisé une tactique similaire en 2013 lors de la révolte étudiante. Selon l’organisation, « le risque d’escalade est aujourd’hui plus élevé que depuis le début du mouvement de contestation ».
Vers une répression plus intense ?
Ces pouvoirs élargis accordés aux forces de sécurité, qui répriment déjà dans l’impunité, pourraient accroître un peu plus la répression. Autre danger : la durée de la contestation. Si elle résiste à ces nouveaux décrets, « elle pourrait agrandir les fractures déjà constatées au sein de la coalition au pouvoir », analyse ICG.
En effet, le régime se divise entre une hiérarchie militaire choyée par le président el-Béchir et une aile islamique plus favorable à l’ouverture sociale. « Si la division s’aggrave, on risque une dangereuse confrontation entre ces camps bien organisés et bien armés », indique ICG.
Les militants des droits de l’homme dénoncent un dévoiement de la Constitution
Dans la foulée des cinq décrets, le procureur général à Khartoum a procédé selon l’agence nationale soudanaise Suna à la création des tribunaux d’urgence à Khartoum et dans tout le pays. Ces tribunaux doivent juger et poursuivre les personnes soupçonnées de menacer la sécurité générale selon la loi de l’état d’urgence. « El-Béchir veut instaurer des tribunaux spéciaux qui lui rendent des comptes directement et qui jugent les manifestants d’une manière immédiate. Le décret d’urgence numéro trois de la loi d’urgence stipule la constitution des tribunaux d’urgences, pour juger les manifestants pacifistes. Il veut fonder des forces militaires spéciales, des milices qui oppriment les manifestants. Ces décisions sont donc en contradiction avec la Constitution soudanaise et toutes les constitutions du monde », s’insurge Abbas Kara, avocat et militant de droits de l’homme au Soudan.
Les militants des droits de l’homme dénoncent la volonté du pouvoir de viser les manifestants pacifistes avec ce genre de procédures. « Toutes ces dernières décisions prises par le président Omar el-Béchir sont des décisions illégitimes. Elles sont en contradiction avec la loi et avec la Constitution qui garantissent aux citoyens le droit de manifester pacifiquement. Avec ces décisions Omar el-Béchir révoque d’une traite toutes les institutions de l’Etat, les institutions législatives et les institutions judiciaires… Ces institutions qu’il reconnait lui-même », conclut Kara.
El-Béchir réorganise l’armée soudanaise
Le président soudanais a par ailleurs procédé mardi 26 février à une série de nominations et de changements à la tête de l’armée.
Omar el-Béchir a créé un nouveau poste pour un ministre d’Etat à la Défense et a effectué une série de nominations et de promotions. Il a nommé de nouveaux chefs à la tête de l’armée et des renseignements militaires, ainsi que dans l’armée de l’air, de terre et dans la marine. Il a même remis en service deux hauts responsables militaires qui avaient pris leur retraite.
Ces responsables militaires nommés sont réputés loyaux au président confronté depuis le 19 décembre à un mouvement de protestation inédit alors qu’il est au pouvoir depuis trente ans.
Omar el-Béchir considère désormais l’armée comme sa planche de salut pour plusieurs raisons. Pour Mohamad Lasbat, porte-parole de l’association des professionnels soudanais, cette association qui coordonne et organise les manifestations, en reconsidérant l’armée, Omar el-Béchir entend ainsi faire face aux divisions au sein du parti au pouvoir. Le chef de l’Etat soudanais a pris toutes ces dernières décisions seul, sans revenir au parti, remarque-t-il.
Quant à Abbas Kara, avocat et militant des droits de l’homme, il estime que Omar el-Béchir « est en train d’acheter l’armée et de leur faire des cadeaux ». Pour lui, « le président craint que l’armée soudanaise ne prenne le parti du peuple ».
Les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, le Canada et la Norvège ont déploré mardi le « retour à un régime militaire » au Soudan après une série de mesures prises par le président Omar el-Béchir face au mouvement de contestation qui réclame son départ.