L’état-major français des armées a confirmé avoir mené une série de frappes aériennes du 3 au 6 février dans le nord-est du Tchad contre une colonne rebelle tchadienne en provenance de Libye. La colonne visée est celle de l’UFR, le groupe de Timan Erdimi, un neveu du président Déby. Selon Paris, l’intervention des chasseurs-bombardiers « Mirage 2000 » s’est faite à la demande des autorités tchadiennes. Alexandre Bish, chercheur au sein de « Global Initiative », un réseau d’experts qui travaillent sur les crimes transnationaux au Sahel, répond aux questions de Carine Frenk.
RFI : Que pouvait faire cette colonne rebelle à 400 kilomètres de la frontière libyenne ?
Alexandre Bish : Les contacts confirment que l’incursion de l’UFR [Union des forces de la résistance] dans le Sud s’est faite suite à l’avancée des troupes du maréchal [Khalifa] Haftar dans le Fezzan, dans le sud-libyen, et que les troupes de Haftar étaient appuyées par certains Toro-Boros, des milices qui sont issues de la rébellion soudanaise. Donc l’UFR fit face à un dilemme. Soit rester dans le sud-libyen et combattre les forces de Haftar, ce qui n’est pas en lien avec leur stratégie politique. L’objectif politique de l’UFR, c’est de renverser le gouvernement tchadien. Ce n’est pas de faire la guerre aux forces de Haftar dans le sud-libyen. Soit c’était de faire une avancée dans l’Ennedi, le nord-est du Tchad et d’essayer de commencer un mouvement, presque de guérilla, et de voir jusqu’où ils pourraient avancer. Et l’UFR, il semblerait a choisi cette seconde option.
Ils voulaient prendre une ville ?
Selon mes sources, l’objectif c’était surtout d’avancer le plus loin possible, pas d’occuper une ville ou un terrain particulier. C’était une avancée.
Pourquoi le président Idriss Déby demande à la France d’intervenir ?
Selon mes sources, les forces de l’UFR, qui étaient basées dans le désert libyen au sud de Mourzouq, qui ont voyagé pendant plus d’une semaine et parcouru des centaines de kilomètres dans les territoires tchadiens avant d’avoir été attaquées par les frappes aériennes françaises. Il n’y a aucune force armée tchadienne qui les a arrêtées. Un convoi de 40 véhicules, imaginez la poussière, le sable qui s’envole, une telle avancée se voit de loin. Donc la question, c’est pourquoi on ne les a pas arrêtés ? Ce qui est certain, c’est que cette incursion a été vue comme une menace d’importance, certainement pour avoir suscité l’intervention en direct des forces françaises. Il est aussi probablement question de faire passer un message aux autres rebelles et de montrer qu’une incursion d’un mouvement rebelle tchadien sera stoppée par les forces françaises.
Tout cela se passe à 800 kilomètres de la capitale. Que peut redouter vraiment Idriss Déby ?
Cela représente une menace.
Et dans ces conditions, pourquoi la France a-t-elle répondu favorablement à la demande du président Déby ?
Quelques contacts disent que Déby aurait menacé de retirer la contribution tchadienne auprès de la Minusma, la force de maintien de la paix au Mali. Mais ce qui est certain, c’est que l’incursion, qui a été un peu perçue peut-être comme incontrôlable, a été perçue comme une menace d’importance, et a suscité donc une intervention directe des forces françaises qu’on n’a pas vue depuis 2008-2009.
Il y a une volonté de faire passer un message aussi depuis Paris ?
Passer un message, je ne sais pas. Mais il est certain que, depuis la crise libyenne, le Tchad a été perçu comme un pilier de la stabilité au Sahel, et la chute du président Déby pourrait signifier une situation humanitaire aggravée et peut-être un débordement des conflits dans des pays voisins, comme le Niger. Donc ça, c’est une menace aux intérêts stratégiques de la France. Seulement, ce n’est un secret pour personne, plus d’insécurité, je pourrais dire plus de présence jihadiste, une augmentation des flux migratoires vers l’Europe. On l’a vu au Niger. L’application de la loi 2015-36, la criminalisation de la migration irrégulière dans le pays, a quand même dû réduire les flux migratoires de manière considérable. Donc, ça c’est sûr, plus d’insécurité, un débordement de l’instabilité vers le Niger pourrait signifier plus de flux.
Combien y at-il de groupes rebelles tchadiens dans le sud de la Libye ? Quelle force représentent-ils ?
Il y a cinq ou six groupes. Quant au nombre de combattants, ils arrivent de 4 000 à 11 000. Il est très difficile de donner des chiffres quant au nombre de combattants parce que, depuis la découverte de l’or dans le Tibesti en 2012-2013, il y a beaucoup de combattants qui ont décidé de devenir orpailleurs. Donc on peut devenir orpailleur et puis redevenir, combattant si la situation s’y prête.
Et ce sont vraiment des combattants équipés, entraînés ?
En tout cas, selon les informations que j’ai, il semblerait que l’UFR a beaucoup plus d’expériences parce qu’ils ont des vétérans des anciennes rébellions. Le CCMSR [Conseil de commandement militaire pour le salut de la République] aussi, ils ont aussi plus de combattants qui sont plus jeunes et peut-être moins aguerris. Toutefois, tous ces groupes sont divisés. Il n’y a pas de commandement unifié et cela nuit à leur capacité d’action.