Le nouveau parti tunisien Tahya Tounes (Vive la Tunisie), lancé le 27 janvier à Monastir, s’appuie sur le groupe de la Coalition nationale, deuxième bloc à l’Assemblée, et compte élire progressivement ses structures de bas en haut.
Cela faisait des mois que les rumeurs anticipaient la création d’un nouveau parti en Tunisie. Depuis la scission l’été dernier de députés de Nidaa Tounes, qui ont formé le bloc parlementaire Coalition nationale, dénonçant le manque de démocratie interne de leur ancienne formation. Ce groupe est rapidement devenu la deuxième force à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) en siphonnant de plus en plus de sièges à Nidaa Tounes mais aussi d’autres formations et compte aujourd’hui 44 députés. Leur crédo : soutenir le chef du gouvernement, Youssef Chahed.
À LIRE – Tunisie : la Coalition nationale, le groupe pro-Chahed qui bouleverse l’équilibre parlementaire
Promesses de démocratie
Pour se positionner en vue des élections présidentielle et législatives de 2019, il leur fallait un parti. C’est chose faite depuis ce dimanche 27 janvier. La structure a été inaugurée à Monastir, ville du Sahel (côte est), terre historique d’Habib Bourguiba, le père de l’indépendance. C’est là que Nidaa Tounes avait aussi lancé sa structure (Nidaa El Watan) en 2012. Tout un symbole.
Plus de 4 000 participants étaient inscrits, 7 000 ont fait le déplacement, certifient les organisateurs. Des ex-militants de Nidaa, de l’Union patriotique libre (UPL) ou d’Afek Tounes pour la plupart. Certains sont venus par leurs propres moyens, d’autres assurent que des bus leur ont été gratuitement affrétés pour découvrir ce parti qui faisait beaucoup parler lui, sans laisser fuiter grand-chose.
La formation n’avait jusqu’à ce matin pas de nom officiel. Preuve de la volonté de démocratiser ses structures, plusieurs propositions ont été soumises au public. C’est via un vote par SMS qu’ils ont pu choisir entre Ihtilaf Watani (Coalition nationale), Nidaa El Watan (l’Appel de la nation) et Tahya Tounes (Vive la Tunisie). Cette dernière proposition l’a emporté avec 64% des voix. Une quatrième option, Tounes El Amal (l’Espoir de la Tunisie), a finalement été écartée car déjà réservée par un autre parti qui vient de prendre ce nom.
Reste à Tahya Tounes à se créer des structures : locales, régionales et nationales. Tout cela sera déterminé via des votes de bas en haut, ont promis le chef du bloc Coalition nationale, Mustapha Ben Ahmed, et ses députés présents sur scène. Les modalités pratiques devraient être annoncées dans les semaines à venir, une fois le parti enregistré et l’agrément officiel reçu.
Les visages du parti
En attendant les votes internes, des personnalités sont intervenues au pupitre : outre Mustapha Ben Ahmed, Faten Kallel (ex-cadre d’Afek Tounes et ex-secrétaire d’État de la Jeunesse et des Sports), Kamel Hadj Sassi (ex-secrétaire d’État sous Ben Ali et conseiller à la Kasbah), Amel Belkhiria (ex-Al Joumhouri), Mondher Marzouk (maire de Monastir) et Slim Azzabi (ex-chef de cabinet du président Beji Caïd Essebsi).
Ce ne sera pas un parti de leaders, basé sur un nom », a déclaré Slim Azzabi
Déjà ce dernier apparaît comme une figure de proue de Tahya Tounes. « Vous êtes venus de différents courants et partis mais ce qui nous réunit est plus grand, a-t-il affirmé sur scène. Nous appartenons tous à la même famille moderniste et démocrate ». Et de lister les références qui serviront de socle à la nouvelle formation : liberté, démocratie, indépendance, valeurs républicaines. « Ce ne sera pas un parti de leaders, basé sur un nom », s’est-il encore engagé.
Malgré les volontés de laisser choisir les bases, Slim Azzabi est déjà pressenti à un poste clé au sein de la nouvelle formation. Tout comme le chef du gouvernement Youssef Chahed, son ancien camarade au sein du parti Républicain après la révolution. Ils avaient rejoint côte à côte Nidaa Tounes en 2013.
Absence notable de Chahed
Pressenti pour incarner le parti, Youssef Chached était pourtant le grand absent de ce meeting. « Nous sommes venus pour lui et il n’est pas là pour nous », regrette un citoyen. « Il est occupé par son travail, assure Mustapha Ben Ahmed, d’autant plus qu’il y a des intempéries dans le Nord, cela aurait été mal perçu qu’il vienne ».
D’autres soulignent que dans un contexte de grogne sociale et de bras de fer avec le principal syndicat du pays, le moment n’était pas idoine. Le chef du gouvernement pourrait attendre l’annonce officielle des dates des élections pour se rallier à la nouvelle formation qui s’appuie toutefois largement sur son image et ses réseaux.
Le Premier ministre est ainsi longuement apparu sur des écrans géants entre les interventions des autres responsables. Un montage vidéo recensait en effet ses prises de position passées dans les médias tunisiens et internationaux : de l’explication de ses tensions avec le chef de l’État, à la défense des intérêts économiques du pays, en passant par sa volonté affichée de lutter contre la corruption.
À LIRE – Tunisie – Rym Mahjoub : « Chahed veut faire comme Macron, mais sans démissionner »
Écouter les régions
Soutenir le chef du gouvernement ne suffit pas à nourrir un programme. Avant ce lancement officiel, les députés de la Coalition nationale ont mené des consultations aux airs de campagne dans 23 des 24 gouvernorats du pays (hormis Kebili dans le sud, officiellement pour des raisons logistiques). Une manière de montrer leur volonté de ne pas répéter les erreurs du passé, mais aussi de s’appuyer sur les structures régionales déjà existantes de leurs anciens partis. Slim Azzabi a été le coordinateur de ces réunions régionales et Mustapha Ben Ahmed a proposé qu’il coordonne les prochaines étapes légales et politiques.
L’objectif n’est pas de gagner les élections, ce sera seulement une étape
Leurs conclusions ont aussi été lues sur scène : ont été listés des appels à plus de justice sociale, de développement, de démocratie populaire, d’égalité des chances. Les revendications des régions réclament aussi la fin de la corruption et du terrorisme. Les initiateurs de Tahya Tounes promettent d’en tenir compte dans la rédaction à venir de leur programme.
Le calendrier des élections législatives et présidentielle attendues à l’automne 2019 doit encore être confirmé par l’ISIE (Instance supérieure indépendante pour les élections). Slim Azzabi le martèle : « l’objectif n’est pas de gagner les élections, ce sera seulement une étape ». « Mieux vaut peut-être qu’ils ne gagnent pas les scrutins pour qu’on soit vraiment sur le bon chemin et que ce parti puisse évoluer en dehors des guerres de pouvoir », confie un spectateur venu soutenir ce nouveau projet.